Ce site contient les archives mathématiques d’Alexandre Grothendieck de 1949 à 1991. On y trouvera des manuscrits, des « tapuscrits », parfois des documents imprimés, dans un classement fidèle pour l’essentiel (quand il existait ) au classement de l’auteur. Sur les 28000 (environ) pages de ce fonds, seules 18000 (environ) sont actuellement accessibles : pour des raisons de droits on ne peut diffuser les lettres des correspondants de Grothendieck sans leur autorisation.
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Présentation générale du fonds Grothendieck
Notice bibliographique
Alexandre Grothendieck (1928-2014) est considéré par ses pairs comme l’un des plus grands mathématiciens du XXème siècle. Son apport fondamental réside dans la refonte de la géométrie algébrique.
Son père, Alexander Schapiro (dit Sascha), né en Ukraine d’une famille juive, est anarchiste. Il participe activement aux révolutions russes de 1905 et de 1917. Sa mère, Johanna (dite Hanka), allemande d’origine bourgeoise, est une journaliste liée aux milieux bohêmes et anarchisants. Mariée à Johannes Raddatz, elle donne son nom de jeune fille, Grothendieck, à son fils déclaré illégitime. Alexandre passe les premières années de sa vie à Berlin, puis dans la famille d’accueil Heydorn à Hambourg, séparé de ses parents partis faire la Guerre d’Espagne. En 1939, il les rejoint en France. Peu après, Alexandre est interné avec sa mère dans un camp en Lozère (Rieucros), son père en Ariège (Vernet). Il y reprend sa scolarité dans le collège de Mende puis au Collège Cévenol, où il est alors enfant caché au Chambon-sur-Lignon. Déporté, Sascha trouve la mort à Auschwitz.
Alexandre obtient son baccalauréat en 1945 et, trois ans plus tard, la licence de mathématiques à Montpellier. Son diplôme en poche, il part à Paris suivre le séminaire d’Henri Cartan à l’École Normale Supérieure, mais aussi un cours de Jean Leray au Collège de France. En 1949, Grothendieck débute sa thèse à Nancy sous la direction de Jean Dieudonné et Laurent Schwartz (médaillé Fields l’année suivante). En quelques mois, il résout quatorze problèmes sur lesquels ces deux mathématiciens de renom butaient. Il fréquente alors le groupe de réflexion mathématique Bourbaki, dans lequel il sera très actif entre 1955 et 1960. En 1953, il présente pour la thèse sa théorie des produits tensoriels topologiques et espaces nucléaires. Grothendieck ne peut cependant pas occuper un poste dans la fonction publique. En effet, né en Allemagne, il n’en demeure pas moins apatride. De 1950 à 1958, il occupe donc la fonction de chercheur rattaché au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Grothendieck est d’abord reçu à l’université de São Paulo comme professeur invité (1952-1954) puis à l’université de Lawrence (Kansas) où il développe une théorie de topologie algébrique et d’algèbre homologique (1955). Après un séjour à l’université de Chicago, il obtient une bourse du CNRS et rentre à Paris en 1956.
Chargé de cours Peccot au Collège de France pour l’année universitaire 1957-1958, le mathématicien intègre ensuite l’Institut des Hautes Études Scientifiques[1] (IHÉS) fondé par l’industriel Léon Motchane. Entre 1960 et 1967, il y publie les Éléments de géométrie algébrique (EGA, quatre volumes) en collaboration avec Jean Dieudonné. Il dirige également, entre 1960 et 1969, les Séminaires de géométrie algébrique (SGA, tomes 1 à 7). Ses travaux lui valent la médaille Fields en 1966, la plus haute distinction internationale de mathématiques. Il ne se rend cependant pas à Moscou pour la recevoir. L’année suivante, il donne des cours aux étudiants de Hanoï au milieu de la jungle et sous la menace des bombardements américains[2].
Alexandre Grothendieck quitte l’IHÉS en 1970 après avoir appris l’implication du ministère de la Défense dans le financement de l’institut. Militant écologiste et antimilitariste, il critique le scientisme et fonde alors, avec d’autres scientifiques, l’association Survivre (qui sera ensuite renommé Survivre et Vivre). Son investissement passe aussi par la revue éponyme, publiée entre 1970 et 1975. Il s’interroge sur le rôle de la science dans la société (« Faut-il continuer la recherche scientifique ? »), question qu’il pose dans ses cours et conférences, notamment au Collège de France. De ce fait, en 1972 après deux années d’enseignement, son affectation dans ce dernier n’est pas renouvelée, une première dans l’histoire de l’institution.
Naturalisé français en 1971, le mathématicien intègre le corps enseignant de l’Université des Sciences et Techniques du Languedoc à Montpellier en 1973. Parallèlement à sa vie d’universitaire, il s’investit dans les courants de retour à la terre et de vie communautaire.
En 1977, Alexandre Grothendieck obtient la médaille Émile Picard décernée par l’Académie des sciences. L’année suivante, il écope de six mois de prison avec sursis pour avoir hébergé, en 1975, un moine bouddhiste japonais dont le titre de séjour avait expiré.
Il laisse un témoignage de son parcours avec Récoltes et Semailles : réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien (1983-1986), dans lequel il n’hésite pas à pointer du doigt certains mathématiciens de renom. Dans La Clef des Songes ou dialogue avec le bon Dieu (1987) et d’autres textes littéraires comme Éloge de l’Inceste[3] (1979) ou Développements sur la lettre de la Bonne Nouvelle (1990), il mêle sciences, métaphysique, mysticisme et religions, proposant une vision globale du monde.
En 1988, Grothendieck refuse le prix Crafoord de l’Académie Royale des Sciences de Suède et prend officiellement sa retraite. Trois ans plus tard, il s’installe en Ariège où il mène une vie de solitude jusqu’à son décès le 14 novembre 2014.
[1] Cette institution se veut l’équivalent européen de l’Institute for Advanced Study (IAS) à Princeton.
[2] En novembre 1967, il enseigne durant trois semaines à des étudiants vietnamiens dont « une dizaine de jours à l’Université évacuée de Hanoi (à une centaine de kilomètres de la capitale) » (GROTHENDIECK (Alexandre), La vie mathématique en République Démocratique du Vietnam, p. 2).
[3] De cette œuvre, seul l’épilogue du premier chant nous est parvenu à ce jour (voir cote 184).
Historique de la conservation
Ce fonds a été donné par Alexandre Grothendieck à l’un de ses anciens élèves, Jean Malgoire, enseignant-chercheur à l’Université de Montpellier. Il a été réalisé en deux temps, fin juin ou début juillet 1990[1] et le 28 juillet 1995. Jean Malgoire conserve à son domicile les archives Grothendieck jusqu’en 2010, date à laquelle elles sont déposées à l’Université de Montpellier.
En 2010, une opération de classement et de numérisation avait été initiée sans être menée à son terme. Une partie de la correspondance a alors été numérisée (« correspondance élèves », « correspondance Récoltes et semailles » et « correspondance historique », selon le plan de classement alors envisagé). Une base de données a été produite sous le logiciel FileMaker Pro. Il n’existe aucun instrument de recherche lié à cette première intervention sur le fonds, mais des regroupements de dossiers ont été réalisés (chemises intitulées avec notes repositionnables indiquant le nombre de feuillets). L’intégrité du fonds initial semble cependant avoir été globalement respectée au niveau des dossiers.
MODALITÉS D’ENTRÉE
Don de Jean Malgoire à l’Université Montpellier 2 en 2012, approuvé par le conseil d’administration du 6 juillet (délibération n° 2012-0706-14).
[1] Peu avant, une partie des archives non mathématiques a été détruite par Grothendieck lui-même, d’après Jean Malgoire.
Contenu et structure
PRÉSENTATION DU CONTENU
Le fonds Grothendieck regroupe des manuscrits inédits de théories mathématiques majeures du XXe siècle, particulièrement de géométrie algébrique. Il représente la majorité des travaux de Grothendieck, de 1949 à 1991 et donne un exemple du réseau scientifique (relations et échanges de documentation) d’un mathématicien au sommet de la recherche internationale dans la deuxième moitié du XXème siècle. Il fournit également des éléments pour l’étude de l’élaboration de son œuvre à caractère autobiographique (dont des corrections et injonctions à sa secrétaire sur les versos) ou encore sur ses réactions de défense vis-à-vis du milieu scientifique et de la justice.
Initialement, les archives Grothendieck ne sont pas organisées selon un plan de classement thématique ou chronologique. Il n’en demeure pas moins que des unités archives (U. A.) apparaissent clairement, avec des dossiers dont les chemises et sous-chemises sont généralement intitulées par le mathématicien (au crayon).
Les documents présents dans le fonds sont majoritairement des notes manuscrites, des tapuscrits mais aussi des lettres. Alexandre Grothendieck réutilise fréquemment les versos ce qui propose plusieurs niveaux de lecture de son travail. Ainsi, on peut trouver de la correspondance (provenant notamment de l’administration de l’USTL) ou encore des tapuscrits annotés sur un verso et, au recto, des notes manuscrites mathématiques.
Les dossiers sont généralement composés de sous-dossiers dont les feuilles ou pages sont parfois numérotées par l’auteur. La majorité des documents sont au format 21 X 27 cm avant 1970, et A4 pour ceux rédigés ensuite. À noter la présence de quelques objets de taille inférieure à 20 cm (un éventail et la médaille Picard), et de supports d’écriture plus imposants (par exemple un calendrier décoratif).
Parmi la documentation présente dans le fonds, figurent de nombreux comptes rendus de l’Académie des Sciences de Paris (CRAS). Leurs auteurs ont été relevés dans l’index des noms de personnes (environ 460 personnes recensées).
MODE DE CLASSEMENT
Le contexte
En novembre 2015, deux archivistes contractuels, Hélène Rodriguez et Frédéric Troilo, sont recrutés pour six mois afin de classer le fonds et le préparer à une numérisation de conservation. Durant cette mission, ils ont été dirigés par Sophie Dikoff, responsable du service des archives de l’Université de Montpellier. Pour comprendre le contexte du fonds et déchiffrer les documents, ils ont été épaulés par Jean Malgoire, maître de conférences à l’Université de Montpellier et ancien élève de Grothendieck. La participation de ce mathématicien a été essentielle pour pouvoir réorganiser le fonds et dégager notamment les différents thèmes de recherche qui y étaient abordés. Les archivistes ont travaillé au sein du Service Patrimoine de la Bibliothèque interuniversitaire (site de la Bibliothèque des Sciences), dans un vaste bureau disposant de grandes tables. Pendant cette période, le fonds était conservé dans la réserve de ce service, adaptée aux exigences de conservation et offrant toutes les garanties de sécurisation, notamment contre le vol.
La méthode de classement
Les dossiers constitués par Grothendieck ont été conservés dans leur intégrité. L’instrument de recherche reprend, dans la description, les intitulés du mathématicien. Lorsqu’aucun titre ne précisait le dossier, les archivistes associés à Jean Malgoire en ont proposé un qui apparaît entre crochets ([ ]). À noter, aucun document n’a été éliminé au cours de la mission.
Le plan de classement repose sur deux parties aux volumes et thèmes très différents : d’une part les recherches mathématiques de Grothendieck (travaux et correspondance), et d’autre part, ses réflexions et la plaidoirie de son procès en 1978, qui représentent moins de 5 % du fonds.
Les œuvres structurées par leur auteur (Pursuing stacks, cote 134/1-8 ; Vers une géométrie des formes, cote 156/1-9 ; Dérivateurs, cote 157/1-5) ont été divisées par chapitre pour des raisons de confort de consultation et de conditionnement (boîtes de 10 cm de largeur). Ces œuvres, ainsi que La Longue Marche à travers la théorie de Galois (cote 140/1-4) et deux dossiers composés de travaux divers (cotes 161/1-6 et 162/1-6) ont donc été classées dans des sous-cotes.
En ce qui concerne la correspondance, celle-ci était initialement structurée en chemises et sous-chemises, et ordonnée de façon variable : classement chronologique avant 1970, anti-chronologique ensuite, voire inexistant a priori. Pour rendre homogène le classement, l’ensemble de la correspondance a été reclassée selon un ordre anti-chronologique, et les séries de dossiers de correspondants ont été divisées en sous-cotes. Le mathématicien a classé sa correspondance en deux grands ensembles : d’une part, celle scientifique avec des mathématiciens du monde entier[1]
(cote 163/1-105) ainsi qu’avec ses étudiants de Montpellier (cote 164) et d’autre part, celle qui fait suite à la rédaction de Récoltes et semailles (cote 183/1-166). Pour faciliter la lecture, les intitulés des dossiers de correspondants ont été adaptés suivant la forme NOM, Prénom.
Hormis la correspondance, les documents présents dans le fonds sont rarement datés. La réutilisation des versos, mais aussi l’utilisation de listings en guise de supports à des démonstrations mathématiques ou de sous-chemises, permettent souvent de proposer une fourchette de datation (notamment des terminus post quem). Ainsi, lorsqu’un dossier ne comprend aucune date mais qu’un verso est une lettre de 1980, nous pouvons en déduire que le dossier a été élaboré à partir de 1980. Les datations proposées sont explicitées en notes de bas de page et peuvent encore être affinées, notamment par les spécialistes des thématiques mathématiques abordées dans ce fonds.
Le mauvais état général des chemises cartonnées ou en papier de Grothendieck a déterminé leur conservation à part, dans des boîtes annexes. Elles sont donc cotées différemment (de A à C) et peuvent renseigner l’organisation du producteur, notamment par la présence d’anciennes inscriptions.
La numérisation de conservation
L’ensemble du fonds a été numéroté, dépoussiéré et reconditionné par les archivistes dans l’objectif d’une numérisation de conservation.
La numérotation apparait de manière générale en bas à gauche et a été effectuée avec des crayons à papier de type HB permettant une réversibilité. Seules les pages numérotées par les archivistes ont été numérisées. Les versos vierges ou les rares doublons n’apparaissent donc pas dans les fichiers numériques, à l’inverse des brouillons raturés, des lettres administratives ou encore des extraits de tapuscrits divers sur les versos.
L’un des objectifs principaux de la numérisation visait à restituer au mieux la matérialité et l’organisation des documents. Ainsi, le sens des images a été déterminé selon le contexte et des versos raturés ne semblant pas en rapport avec la rédaction principale peuvent par conséquent apparaître à l’envers (il suffit de faire pivoter l’image pour pouvoir lire le document). Les sous-chemises neutres servent de séparateurs visuels aux ensembles de feuilles auparavant regroupées par des agrafes, trombones ou tout simplement pliées les unes dans les autres. Ses séparateurs « physiques » ont également été numérisés pour restituer au mieux la matérialité du fonds originel sur support papier.
Le dépoussiérage intégral du fonds a été réalisé à l’aide de balayettes en poil de cheval et de chèvre, ainsi que d’éponges en latex, selon les prescriptions de la Bibliothèque nationale de France datant de mai 2003. Outre l’intérêt lié à la conservation des documents papier, cette opération a permis de préserver la santé des agents chargés de la numérisation mais également le matériel utilisé, notamment le scanner professionnel.
Pour faciliter la numérisation et son suivi, des fiches accompagnaient chaque envoi de boîtes pour faciliter les travaux de l’atelier de numérisation. Celles-ci donnent pour information et pour chaque cote, les dates d’envoi et de retour, la description et la typologie documentaire, les formats, les dates extrêmes et le nombre de vues à réaliser. Les informations sur la matérialité et la pagination des documents ont été utiles pour la communication et les ajustements faits entre archivistes et agents de numérisation.
Il a été décidé que le format utilisé pour la version électronique du fonds serait le JPEG2000, avec une définition de 400 ppi pour la version de conservation et de 200 ppi pour celle de contrôle. Les deux versions sont en couleur.
[1] Dans une lettre adressée à Monsieur Lefranc datée du 13 octobre 1985 (voir cote 183/97), Grothendieck évoque la disparition de sa correspondance allant de S à Z. Il affirme que ces documents se sont volatilisés à l’occasion du « sac » de son bureau la même année.
Liste des abréviations
CdS : La Clef des Songes ou dialogue avec le bon Dieu
CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
EGA : Éléments de Géométrie Algébrique
IHÉS : Institut des Hautes Études Scientifiques
R&S : Récoltes et Semailles : Réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien
SGA : Séminaire de Géométrie Algébrique
USTL : Université des Sciences et Techniques du Languedoc